LAUTEUR a envoyé des lettres à quelques personnes qui ne vivent plus et dont les noms sont connus en tant qu'artistes et écrivains. Si nous rejetons la supposition qu'il espérait vraiment obtenir des réponses, certaines interprétations sont néanmoins possibles :
 


 
 

1. C'était un geste de désespoir, de non-acceptation de leur mort, de la fin de leur vie, du fait qu'il ne vont plus créer. Cela devait être aussi un geste magique, un geste d'espoir, qui les obligerait à se manifester, qui les appellerait quand même à la vie, et les forcerait à réagir à cette provocation qui leur est adressée.


2. C'était peut-être aussi l'envie de ramener "les grands créateurs" aux dimensions de leur existence privée, laquelle, avec le temps qui s'écoule, se change de plus en plus en mythe. En fuyant la contemporanéité non encore nommée, non-classifiée, la confusion de notre propre destin - nous cherchons un point d'appui en mythifiant le passé, en considérant des personnes choisies comme "grandes", pour les enfermer dans des albums, biographies, analyses "exhaustives". Est-ce qu'en tombant en "extase" devant les oeuvres du passé nous ne nous fermons pas leur accès? Au lieu d'enrichir grâce à elles notre contact avec ce qui nous entoure ici et maintenant, nous marchons autour d'elles sur la pointe des pieds et parlons avec un chuchotement plein de dévotion.


3. En même temps, un étonnement, peut-être banal déjà aujourd'hui, mais qui reste toujours un étonnement, concerne plus particulièrement des tableaux, des sculptures, mais aussi des manuscrits des livres, des autographes des lettres. Il y a des gens, qui pour les posséder, sont prêts à payer de très fortes sommes. Et pourtant, avec le même argent, ils pourraient faciliter la création de dizaines, centaines et même de milliers d'oeuvres contemporaines. Même si la plupart seraient de faible valeur artistique, parmi elles il y en auraient peut-être certaines aussi intéressantes que celles créées il y a des dizaines et des centaines d'années.


4. Ces lettres auraient dû être envoyées plus tôt, car ce geste qui manifestait notre intérêt pour leurs destinataires, encore vivants, aurait alors eu un sens. Les créateurs, comme d'ailleurs d'autres gens, ont besoin d'être compris de leur vivant. Et pas seulement quand leurs oeuvres "resteront", "résisteront" au temps. Une lettre envoyée aujourd'hui serait peut-être plus importante qu'une centaine de bouquins écrite dans cent ans ?


5. Mais est-ce que l'auteur lui-même ne succombe pas à la magie des célébrités ? Est-ce qu'il ne cherche pas lui-même les autorités du passé, "confirmées" par le temps ? Pourquoi écrit-il à ces gens, et que veut-il leur demander ?

N'écrit-il pas p.ex. à Walter Benjamin, pour lui demander de mieux expliquer le sens de la phrase: "... La légende ne doit-elle pas devenir l'élément le plus essentiel du cliché..."(chercherait-il uniquement la confirmation de ce qu'il fait lui-même : des photos légendées?). De plus, l'auteur n'essaie-t-il pas, en se servant de noms très connus (veut-il dire qu'il a quelque chose de commun avec ces gens, qu'ils sont ses bons amis?) d'attirer l'attention sur lui, de se chauffer un peu à la lumière mythique de leurs noms ?


6. Bien sûr, ce travail se situe dans une certaine tradition de l'art contemporain : mail-art, les actions mi-sérieuses mi-absurdes, le champ laissé à des spéculations intellectuelles. Mais je ne crois pas qu'il y ait lieu ici d'analyser ce problème.


7. Mais quel serait alors le sens de cette action entreprise par l'auteur (qui n'en n'a pas, du point de vue du bon sens) ?

Écrire des lettres et faire d'autres choses quand il est encore temps. Et quand nous pouvons espérer obtenir une réponse.

Mariusz Hermanowicz
1989



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